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La clause de non-concurrence : salariés, collaborateurs ou associés... tous concernés !

Legistrat caricature clause de non concurrence

"A compter de la rupture de son contrat de travail et pour une durée de deux (2) ans, Mme X s'interdit d'exercer son activité de comptable dans un rayon de trente (30) kilomètres autour des villes suivantes : Orléans (45000), Tours (37000) et Blois (41000)"

Si vous jetez un oeil sur votre contrat de travail, il y a des chances qu'une clause similaire y soit insérée : c'est ce qu'on appelle une clause de non concurrence, qu'elle soit intitulée ainsi ou non dans votre contrat. Développée par la pratique, celle-ci a pour but de protéger votre employeur dans le cas où vous souhaiteriez vous séparer de lui (que ce soit pour exercer auprès d'un concurrent ou à votre compte). 

Il s'agit donc d'une clause produisant ses effets à compter de la rupture du contrat de travail, quel que soit le mode de rupture, et non au cours de son exécution. Plus précisément, elle produit ses effets dès la fin du préavis (ou, à défaut de préavis, au jour où le salarié quitte l'entreprise).

Si en soi la clause de non concurrence est légale, il faut néanmoins savoir que sa validité est subordonnée à la réunion de 5 conditions cumulatives :

1) Elle doit être indispensable et proportionnée aux intérêts légitimes de l'entreprise : le recours à une clause de non concurrence peut aisément se justifier lorsque le salarié est amené à entretenir des rapports étroits avec la clientèle de l'entreprise. Toutefois même si l'usage d'une telle clause est justifié, encore faut-il que la contrainte qu'elle fait peser sur le salarié soit limitée au strict nécessaire et proportionnée aux intérêts légitimes à protéger (ceci afin de préserver la liberté du salarié). Ces caractères s'apprécient au cas par cas, la réunion des conditions suivantes pouvant constituer un faisceau d'indices tendant à confirmer le caractère proportionné de la clause.

2) Elle doit tenir compte des spécificités de l'emploi du salarié : cette condition est étroitement liée à la première. Ainsi, une clause de non concurrence appliquée à un salarié qui n'a que peu de relations avec la clientèle de l'entreprise, qui occupe un poste sans responsabilités particulières et/ou qui n'a accès à aucune information stratégique est susceptible d'être remise en cause par le juge en cas de contentieux (à plus forte raison si le salarié n'a travaillé que peu de temps au sein de l'entreprise).

3) Elle doit être limitée dans le temps : en d'autres termes, elle ne peut être stipulée ad vitam aeternam. Le contrat de travail doit en effet prévoir explicitement une durée limitée, une période au cours de laquelle le salarié ne pourra pas exercer. Une clause de non concurrence stipulée "à durée indéterminée" ou ne mentionnant aucune durée serait contraire à la liberté du travail. De même, n'oublions pas que la clause doit être limitée au strict nécessaire et proportionnée : il va sans dire qu'une clause prévoyant une durée de 10 ans a peu de chances de résister à l'examen du juge ! En règle générale, les clauses de non concurrence sont stipulées pour une durée allant de 1 à 3 ans.

4) Elle doit être limitée dans l'espace : là aussi, l'idée est de préserver la liberté du salarié. Ainsi, le contrat de travail doit délimiter précisément le périmètre géographique sur lequel porte la clause de non concurrence. Mais attention, encore une fois la clause doit être proportionnée : inutile d'étendre le périmètre à 5 ou 6 régions françaises si l'entreprise n'est présente qu'en Loire-Atlantique. Les clauses de non concurrence prévoient généralement un périmètre correspondant au territoire d'une ou de plusieurs villes (dans lesquelles l'entreprise est présente), à celui d'un département ou encore d'une région.

5) Elle doit être rémunérée : puisque le salarié accepte de limiter sa liberté, celui-ci doit être indemnisé (indemnité de non concurrence). Cette contrepartie est essentielle car à défaut, la clause devient sans objet. Bien entendu pour que la clause soit valide, le montant de l'indemnité de non concurrence ne doit pas être dérisoire pour le salarié (si son montant est inférieur au quart du salaire mensuel moyen du salarié, il y a lieu de s'interroger). Il faut également savoir que la rémunération de la clause ne peut varier à la baisse en fonction du mode de rupture. Ainsi, la clause de non concurrence ne peut prévoir une rémunération moins élevée en cas de licenciement pour faute grave ou de démission du salarié.

Important : que vous soyez employeur ou salarié(e), vérifiez que ces 5 conditions sont effectivement réunies avant d'opposer la clause. Si ce n'est pas le cas, celle-ci est réputée nulle et non écrite (elle ne peut donc valablement être mise en jeu).

Il est essentiel de noter que seul le salarié peut se prévaloir de la nullité de la clause. Cependant, le seul fait que la clause soit illicite ne permet pas (ne permet plus) au salarié de prétendre à une indemnisation de la part de son ancien employeur : encore faut-il qu'il justifie avoir subi un préjudice du fait de l'application de la clause litigieuse.

L'employeur, lui, ne peut arguer de la nullité de la clause de non concurrence pour se défausser de ses obligations. 

En revanche, il peut très bien renoncer unilatéralement à appliquer la clause dès lors que les conditions cumulatives suivantes sont réunies :

- Le contrat de travail ou à défaut, la convention collective, prévoit explicitement cette faculté de l'employeur.

- La renonciation est claire, non équivoque : par mesure de prudence, il est recommandé à l'employeur de produire un écrit et de l'adresser au salarié par LRAR. Un employeur qui ne renonce pas explicitement à l'application de la clause de non concurrence est en principe tenu de verser au salarié l'indemnité de non concurrence prévue dans le contrat de travail.

- La renonciation intervient dans le délai prévu par le contrat de travail ou à défaut, par la convention collective. Si aucun délai n'est stipulé, la renonciation doit intervenir au plus tard à la date d'envoi ou de remise en mains propres de la lettre de licenciement (en cas de licenciement) ou au dernier jour du préavis (en cas de démission). En aucun cas l'employeur ne peut se réserver le droit de renoncer à l'application de la clause de non concurrence en cours d'application de celle-ci.

- Par exception, en cas de rupture conventionnelle, la renonciation doit intervenir dans les 15 jours qui suivent la notification de rupture. Attention : le délai court à compter de la date de rupture indiquée sur la convention de rupture, et non à compter de la date de signature du document.

Maintenant si la clause est valide et que l'employeur ne renonce par à l'appliquer, le salarié doit se montrer particulièrement prudent.

En effet, voici ce qu'il encourt en cas de violation de la clause de non concurrence :

- remboursement des indemnités de non concurrence versées par son ancien employeur,
- allocation de dommages-intérêts à son ancien employeur (au titre du préjudice subi),
- cessation de son activité (éventuellement sous astreinte).

"Et qu'en est-il si je ne suis pas salarié, mais associé ou collaborateur libéral ?"

Lorsque l'on cède son entreprise, il est d'usage pour le cessionnaire d'insérer une clause de non concurrence dans le protocole de cession des titres. Car en faisant l'acquisition de l'entreprise, ce dernier rachète notamment son portefeuille client : il n'a pas envie de le voir fondre comme neige au soleil parce que son prédécesseur a décidé de se réinstaller à proximité ! Il s'agit là d'une précaution couramment prise par le cessionnaire, compte tenu du caractère limité de l'obligation de non concurrence prévue par la loi (qui se limite à prohiber l'emploi, par le cédant, de manoeuvres telles qu'elles ont pour effet d'empêcher l'acquéreur de poursuivre l'activité de la société et de réaliser l'objet social).

Il en va de même dans le cercle des professions libérales (médecins, avocats, architectes etc). Lorsqu'un associé cède ses parts, il est en effet courant que celui-ci soit tenu par une clause de non concurrence envers ses coassociés (insérée dans un pacte d'associés ou directement dans les statuts). Petite particularité concernant ces professions : elles ont fréquemment recours au contrat de collaboration libérale, une modalité d'exercice "à mi-chemin" entre exercice en libéral et salariat entrant elle aussi dans le périmètre de la clause de non concurrence (toutefois dans ce cas, la clause ne porte que sur les clients du cabinet et non sur la clientèle développée par le collaborateur).

Concernant les règles applicables à ces statuts, elles sont relativement similaires à celles énoncées plus haut pour les salariés... à quelques exceptions près.

En effet, là encore la clause doit revêtir un caractère proportionné (et limité au strict nécessaire) aux intérêts légitimes dont on entend assurer la protection. En plus d'être limitée dans le temps et l'espace, la clause de non concurrence doit ainsi prendre en compte le domaine de compétences du cédant. 

En pratique, compte tenu de la qualité du cédant, la limitation dans le temps et l'espace sera appréciée de façon plus extensive que pour un salarié : il est donc possible que la durée d'une clause de non concurrence soit de 5 ans et/ou qu'elle porte sur le territoire entier ou quasi entier d'un ou de plusieurs Etats (suivant l'étendue de l'activité et l'existence de filiales à l'étranger). Là encore, l'appréciation se fait au cas par cas.

En revanche, et c'est là une différence cruciale avec la clause de non concurrence appliquée à un salarié, l'élément relatif à la rémunération (indemnité de non concurrence) ne constitue pas une condition sine qua non de la validité de la clause de non concurrence à laquelle est tenu le cédant (sauf s'il se trouve que celui-ci avait également la qualité de salarié). Ainsi, la clause peut être rémunérée ou non. Il est à noter que la rémunération de la clause de non concurrence peut devenir un point de négociation dans le cadre d'une cession d'entreprise, bien que le "nerf de la guerre" se situe généralement ailleurs.

Concernant la portée de la clause de non concurrence, il convient enfin de préciser que :

- Si la clause est insérée dans les statuts, seule la société (et non l'acquéreur seul) pourra demander réparation au cédant.
- La clause s'applique également aux héritiers du cédant dès lors que ces derniers n'ont pas renoncé à la succession.
- En cas de cessions successives des droits sociaux, les sous-acquéreurs ne peuvent se prévaloir de la clause de non concurrence qu'à la double condition que celle-ci le prévoie et qu'elle ait été reproduite dans les actes de cession ultérieurs.
- Le cédant n'est tenu par la clause de non concurrence que dans les limites qu'elle définit. Ainsi, si la clause stipule que le cédant ne pourra pas créer une entreprise concurrente dans un rayon de 100 kilomètres autour de la ville de Paris, rien n'empêche ce dernier de se faire employer par une entreprise concurrente dans ce périmètre.

En conclusion, la clause de non concurrence constitue une arme à double tranchant : mal rédigée ou mise en oeuvre, celle-ci est susceptible de se retourner contre son auteur. D'où l'intérêt de se faire accompagner par un professionnel lorsque l'on souhaite la rédiger, la faire jouer ou au contraire la lever.

Adrien VAGINAY  |  Droit et Stratégie des Entreprises


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